Les agriculteurs(trices) sont-ils des humains comme les autres ? Partie 1

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L’exemple de 3 particularités du métier sources de tension  

Farmer

 

Vous l’aurez compris, cette question est provocatrice ! 

Je n’ai jamais vérifié mais j’ai bien l’impression que sous la côte se cache un humain. Les agriculteurs(trices) partagent des besoins physiques, psychologiques et affectifs avec le commun des mortels. 🙂

D’après mon expérience, parfois ces hommes et ces femmes oublient leurs besoins fondamentaux en tant qu’être humain, au détriment de leur épanouissement personnel et de leur santé physique. 

Je me suis demandée, en quoi certaines particularités du métier peuvent créer des tensions internes chez les hommes et les femmes qui le vivent au quotidien ? 

REMARQUE : Ne me prêtez pas de mauvaises intentions. Le métier d’agriculteur est source aussi de bonheur et d’épanouissement. Régulièrement dans BE Agris, nous en parlerons avec des témoignages.  

Être Agriculteurs(trices) avant d’être hommes ou femmes  

J’ai été en contact tous les jours avec des agriculteurs, d’abord durant 2 ans en tant que salariée agricole, ensuite 5 ans en tant que responsable de formation agricole et j’ai été frappé par le discours autour de la passion pour ce métier. 

 “On ne peut pas faire ce métier sans passion”, “C’est plus qu’un métier, c’est une vocation”, “Ce n’est pas un métier comme les autres”. 

Cet attachement inconditionnel, n’est pas neutre pour les individus. 

Prenons l’exemple de la passion dans un couple. Au début, la passion est revitalisante, elle est motrice d’action mais quand la passion s’effiloche avec le temps, la souffrance voire le désarroi n’est jamais loin ! Soit elle se transforme en une relation plus mûre, avec une redéfinition de la place de chacun dans le couple, avec les limites claires de la relation, soit elle vole en éclat et ne passe pas cette étape.

J’échange régulièrement avec des agriculteurs(trices). Pour beaucoup, ils s’identifient au métier avant tout. Pour continuer de filer la comparaison avec la relation amoureuse, ils fusionnent même avec leur métier pour ne faire qu’un, jusqu’au détriment parfois de leur vie d’hommes ou de femmes et de leur bien-être globale. 

Le métier d’agriculteur est souvent mis en avant dans les médias, pour ces conditions difficiles et pour son triste record de suicides. Les causes sont multifactoriels. C’est souvent le facteur économique qui est mis en avant mais des études récentes évoquent l’importance d’autres facteurs comme l’environnement social, le statut social, l’isolement, les ressources internes et  relationnelles…

Exemples de 3 particularités du métier d’agriculteur(trice) qui peuvent être sources de tensions internes pour les individus.

Un métier passion 

Pour beaucoup, ce métier exigeant, est vécu comme une passion et une vocation, ce qui est source de grande joie. Cette passion permet aussi pour beaucoup de tenir au quotidien quand les conditions d’exercices du métier sont difficiles. 

Mais attention à rester vigilant ! 

Dans cette configuration, les psychologues du travail évoquent le danger potentiel d’un surinvestissement personnellement et professionnellement. 

Quand cette identification au métier prend le pas ( ou prend aux tripes ) sur le reste de la vie sociale et affective, en cas de coup dur au travail, c’est tout un monde intérieur qui peut s’effriter et une identité ( comment je me vois, qui je suis )  pour certain fragilisée. 

Pour schématiser 

Si je suis mon métier et que tout tourne autour de lui au détriment du reste de ma vie ( couple, relations sociales ) et que ma situation professionnelle se dégrade, c’est toute ma personne qui s’en trouve déstabilisée. 

Et si je n’ai pas entretenu ma vie en dehors du travail, comme mon cercle d’amis, mon couple, d’autres passions ou engagements, quelles ressources puis-je mobiliser pour me sentir mieux dans cette période difficile ? 

Un métier d’indépendants soumis aux fortes injonctions externes

Il s’agit d’un métier au statut d’indépendants néanmoins soumis sans cesse aux prescriptions extérieures ( Conseil, para-agricole, réglementation, média spécialisé, politique ). Déjà il y a là, une très forte contradiction à gérer au quotidien. 

Ce qui n’est pas sans source de tensions voir de souffrance quand les injonctions de l’extérieure ne sont pas réalistes avec les ressources humaines et matérielles à disposition sur la ferme. 

Prenons un exemple. La laiterie vous demande de produire plus. Cette “simple demande” va impliquer sur l’exploitation d’avoir la ressource humaine pour gérer le surplus de travail, peut-être d’investir dans du matériel etc.

Toutes les sollicitations, injonctions ou conseils extérieurs doivent être mesurés et demandent à l’agriculteur une prise de recul constante. Ce qui demande d’avoir sans cesse une certaine vigilance. 

Prenons un 2e cas. Parfois le modèle promu par les institutions para-agricoles peut être à l’encontre de ce que l’agriculteur souhaite mettre en place chez lui. Exemple, vouloir changer de pratiques techniques comme arrêter le labour ou arrêter le maïs pour nourrir ses vaches, n’est pas toujours bien perçu ou encourager par le milieu agricole. J’ai pu en être témoin durant mes années où j’étais responsable de formation. L’agriculteur, en plus du stress généré par un changement de système, doit aussi faire face aux critiques de l’extérieur.

Un métier à forte demande sociétale

Ce métier, à fort impact sociétal est donc soumis au jugement et la demande sociale et politique ( ce qui peut être le cas aussi des enseignants ou policiers par exemple mais dans leur cas, ils sont fonctionnaires, donc pas sujets aux tensions inhérentes au statut d’indépendant)

Il est exposé dans l’espace public sans pour autant que les gens “hors milieu” aient une compréhension fine de ce qu’est le métier et de ce qu’il implique. De grands malentendus, un dialogue direct empêché entre les citoyens et les agriculteurs contribuent à cette tension.

Il n’y a pas de fatalité

Ces tensions se régulent par des réajustements et par la prise de conscience de leurs causes. Nous avons le pouvoir d’agir dessus en réajustant nos positions, en affirmant nos besoins.

Cependant, parfois l’environnement politique et culturel, peut limiter nos actions. C’est donc d’un point de vue collectif que peut se jouer aussi ce réajustement. 

C’est là tout l’enjeu de la solidarité d’un groupe sociale dévalorisé dans l’espace public. Nous y reviendrons dans un autre article en abordant le processus de stigmatisation des agriculteurs.

Dans le prochain article nous ferons un point sur la notion d’identité et de tension avec des exemples concrets du quotidien à la ferme.

À retenir

1_Avoir conscience des tensions inhérentes à une position sociale, à un contexte spécifique lié à l'exercice du métier permet de prendre du recul sur ses comportements. // 2_Attention à la passion dévorante // 3_Il n'y a pas de fatalité

Concepts clés

Surinvestissement personnellement et professionnellement // Les besoins fondamentaux de tout être humains // Injonctions extérieures //

Lien avec d'autre sujet

https://www.franceculture.fr/societe/suicides-dagriculteurs-le-phenomene-est-ancien-mais-son-entree-dans-le-champ-mediatique-est-recente

En savoir plus

Etude sociologique de Nicolas Deffontaines

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Marie Godard

Je travaille dans le milieu agricole depuis 10 ans après une reconversion professionnelle. Avant de mettre les bottes dans le milieu agricole, j’étais salariée dans l’animation, le social et la communication. Avec des études de sociologie et des formations en accompagnement, en coaching, l’humain a toujours été le centre de mes préoccupations.